Poussière, nous ne sommes que poussière

Sur les nombreuses routes en travaux de la région, emportés dans un nuage de poussière rouge.

La frontière et ses quelques casinos passés, les premières différences entre le Vietnam et le Cambodge nous sautent aux yeux, et aux oreilles.

Finis les klaxons incessants, finis le monde partout, finis les cultures omniprésentes. Place à la campagne, place au calme, place à l’espace et au temps.

Fini également notre capacité à lire (et, modestement, à apprendre) la langue locale, le khmer s’écrivant avec pas moins de 73 graphèmes pouvant former des mots extraordinairement longs.

Heureusement, certains panneaux sont traduits! Mais il s’agit là d’une exception…

Les gargotes à chaque coin de rue ont, elles aussi, disparu et rapidement un constat s’impose: nous mangerons désormais ce qu’il y a, quant il y a.

À chaque marmite sa surprise, souvent étonnante. Mais pas question de faire la fine bouche, il n’y a généralement rien d’autre.

Quant aux infrastructures, elles sont nettement plus sommaires et les routes… poussiéreuses.

Moins de monde, moins de bruit et… moins d’asphalte. Mais les paysages sont splendides.

De la poussière, resurgit une ville

En route pour la capitale, nous commençons par suivre le bord de la mer, aux senteurs de France et de poivre, avant de couper dans les terres à travers une campagne assoupie à cette saison.

Hors des grands axes, c’est pas toujours très roulant mais la région est plate et les habitants tout contents de nous voir passer par là.

7 janvier 1979: chute du Kampuchéa démocratique et du régime des Khmers rouges. Phnom Penh est en ruine, vidée de sa population.

De notre passage en 2007, nous en gardons le souvenir d’une ville paisible, de portraits géants de Micheline Calmy-Rey en visite officielle, de quelques cafés et restaurants agréables et d’un quartier d’auberges plus ou moins salubres regroupées autour d’un étang.

Vestiges de l’Indochine française dans le quartier de la poste centrale de Phnom Penh.

Depuis, l’étang a disparu, remplacé par des centaines de buildings sans charme, les rives de la ville ont été réaménagées, les espaces verts ont disparu et une circulation dense et chaotique congestionne les principales artères de la capitale.

Quant aux nombreux gatte-ciels construits avant la pandémie de Covid pour les Chinois, ils sont, pour l’heure, manifestement vides… L’explosion démographie de la ville attendra encore un peu.

Le monument de l’Indépendance sur fond de bâtiments près à acceuillir des milliers de nouveaux arrivants.

Et les enfants des rues sont toujours là, ils n’ont pas franchement vieillis et n’ont toujours pas droit à la moindre sollicitude ni scolarisation…

Grains de poussière, graines d’aventures

Il y a 17 ans, alors que nous voyagions sacs au dos en Asie, deux types sortis de nulle part nous abordent: « Voudriez-vous vivre l’aventure cambodgienne »? De cette virée à moto de cinq jours, aux confins du pays, nous en garderons un souvenir impérissable.

Et si on retentait le coup, mais en famille cette fois?

Preah Khan de Kompong Svay a désormais la réputation d’être le temple khmer le plus isolé du Cambodge. Pour s’y rendre, une route en terre traverse des régions hors du temps, écrasées par un soleil de plomb.

À des années-lumière du tumulte et des voitures de luxe de la capitale.

À proximité du temple, on s’arrête dans la seule auberge du village, dans l’idée de se reposer un peu et de reprendre des forces.
Une heure du matin: le karaoké voisin s’arrête enfin.
Trois heures plus tard: les moines commencent les prières…

Confort sommaire pour un sommeil… sommaire.

Pour quitter le temple et rejoindre Siem Reap, on savait que la route serait mauvaise. Ce qu’on ne savait pas, c’est qu’il n’y en avait pas.

« Dis, t’es sûr que c’est par-là ? » – « Heu… »

Juste une piste de 28,5 km parcourus en 8 heures et demie, plus le temps de se perdre un peu et de bivouaquer au milieu de la forêt avec l’interdiction de quitter les traces existantes ou de fréquenter la faune locale.

Tiens, un être humain! Merci Madame de nous avoir indiqué qu’on faisait fausse route; par contre on n’a pas compris quel était le bon chemin…

Le lendemain, le sentier est tellement étroit et impraticable qu’il nous semble improbable qu’on soit sur le bon. Et pourtant…

Une expérience unique et mémorable mais qui pourrait ne pas convenir à tout le monde.

Heureusement que Valéryne, victime d’un sursaut de lucidité, avait décidé de faire le plein d’eau (non-potable) avant de quitter le temple. Ce fût salvateur.

C’est fatigués, à sec et crades comme jamais que nous ressortirons de la forêt, soulagés que tout ce soit bien passé et étonnés que ce soit déjà fini. Sans le moindre doute, un des temps fort du voyage!

Mais, au final, il était comment ce temple?

Seuls à contempler les vestiges du Preah Khan de Kompong Svay. Le silence et la nature qui entourent le site rendent la visite magique!

Même la pierre redeviendra poussière, un jour…

Difficile de passer dans la région sans s’arrêter quelques jours pour admirer les temples d’Angkor.

Au final, nous en visiterons près d’une trentaine, sur les 200 qui occupent un terrain monumental de plus de 400 kilomètres carrés. Et, à chaque fois, c’est l’émerveillement face à ces témoins d’une période de construction s’étirant sur plus de cinq siècles.

Une fois encore, le vélo s’avère être le moyen idéal pour faire le tour des principaux sites, nous permettant de visiter à notre guise et à notre rythme les lieux qui nous intéressent.

Le temple pyramide de Prasat Thom, sur le site de Koh Ker, capitale éphémère de l’empire entre 928 et 944.
Chaussée d’accès à la porte sud d’Angkor Thom, cité royale témoin de la splendeur et de la puissance de l’empire khmer.
Visage énigmatique qui veille sur la Porte de la Victoire à Angkor Thom.
Dans le dédale du Preah Khan, temple bouddhiste construit il y a plus de 800 ans.
Le Ta Prohm dont les ruines sont en prise avec d’énooooormes racines de faux fromagers.
Personne ne reste indifférent face à la splendeur d’Angkor Wat.
Angkor Wat: le plus grand édifice religieux au monde et représentation du mont Meru, axe du monde et demeure des dieux.
Les façades finement sculptées du Banteay Srei, joyau de l’art angkorien.
Toute l’équipe devant le Prasat Pram, émerveillée par la diversité et les splendeurs des ruines des temples khmers.

Et dire que ces vestiges ne sont que les parties sacrées de la capitale de l’empire khmer. Les lieux de vie et d’habitation, pour la plus part en bois, sont quant à eux redevenus poussière.

Mais après avoir admiré­ tant de vielles pierres, une question demeure: où donc les ont-ils trouvées? Nous, on a beau chercher, mais à chaque fois qu’on monte la tente, on peine à trouver le moindre cailloux…

Poussières d’étoiles

Du Cambodge, nous nous souviendrons également de nos nuits sous tente et sous un ciel resplendissant. Et nous sommes fascinés par Émilie et Antoine, leur nez pointé vers le ciel, occupés à chercher (et reconnaître!) quelques constellations.

Première nuit prometteuse, au bord d’un lac, à l’abri de la rosée et au calme.

Si les nuits sont généralement sombres et tempérées, elles ont également été éreintantes et incroyablement bruyantes!

Entre karaokés jusqu’à pas d’heure, fêtes de mariages qui durent trois jours et moines qui diffusent à toute heure leurs prières loin à la ronde, on a été servi.

Vient s’ajouter les questions de sécurité liées aux mines anti-personnelles, héritées des Khmers rouges, et aux feux de brousse, technique de désherbage très discutable et hautement inflammable.

Fin de nuit difficile après un décampement précipité à quatre heures du matin pour cause de feu hors de contrôle.

Mais, pratiquement à chaque fois, les Cambodgiens nous indiquerons un endroit favorable, avec bienveillance et curiosité mais sans insistance.

Bien installés sur la plateforme d’une cabane, à l’abri des serpents et des fourmis.

Nous finirons tous en poussière

Pour quitter le Cambodge, nous partons plein nord, à travers les derniers bastions des Khmers rouges.

S’ils ont définitivement capitulés en 1999, l’ambiance dans la région demeure, à nos yeux, bien étrange…

La seule route, construite pour mater toute forme de rébellion, traverse des régions étonnamment vides. Les maisons sont barricadées, les forêts denses et les contacts nettement moins chaleureux.

Heureusement, un bel orage vient alléger l’atmosphère et nous rafraîchir!

Mais un peu plus loin, les feux de brousse transforment les gouttes en cendres…

Derniers kilomètres et derniers retranchements.

Après 30 jours de plat, devoir pousser nos vélos nous semble surréaliste, et pourtant…

Ce ne fût pas long, mais tellement intense. Le cinquième de notre dénivelé cambodgien, réalisé sur quatre kilomètres!

Arrivés en haut, nous dormons dans un village sans âme, à un jet de pierres de la frontière thaïlandaise et du site de crémation de Saloth Sâr. Plus connu sous le nom de « Pol Pot », le « Frère numéro 1 » de Khmers rouges dirigea, entre 1976 et 1979, un régime responsable de la mort de plus d’un million et demi de personnes, soit près de 20% de la population du pays…

Vingt-cinq ans après leur capitulation, la plus part des Khmers rouges sont redevenus poussières, mais les stigmates demeurent.

Quant à nous, nous poursuivons notre route, sans trop savoir ce qu’il restera de nos traces, laissées au gré du vent. Mais, peut-être, qu’un jour, nos enfants en parlerons.

Commentaires

  1. Jacques JURY

    Bonjour très chers amis ! Merci pour votre reportage extraordinaire !
    J’avais 5 ans lors du discours du président Charles de Gaulle à Phnom Penh en 1966.
    Trop jeune à l’époque, je n’ai pas le souvenir de l’avoir entendu.
    7 ans en 1968, lors de ses discours toujours aussi visionnaires; j’en écoutais justement un hier soir sur le communisme, le capitalisme, et la participation de tous à l’intéressement aux résultats, la troisième voie qu’il faisait sienne et dont il recommandait la mise en œuvre immédiate. Il en fit le sujet du dernier référendum qu’il défendit l’année suivante.
    Il sut accueillir les belligérants à Paris afin qu’ils débutent des négociations de paix qui aboutiront au retrait des armées US, mais bien tardivement, 5 ans plus tard. Probablement aurait t’il, grâce à son expérience stratégique, contribué à un règlement plus rapide et moins tragique s’il eût réussi son pari de réforme des institutions françaises comme modèle pour les autres nations, et qu’il eût des successeurs de sa trempe.
    Deux ans plus tard, j’avais 14 ans en 1975, j’écoutais les reportages sur les effondrements des gouvernements pro US avec un sentiment de honte et beaucoup d’incompréhension face au gâchis de toutes ces années et ces vies perdues. Et les tragédies allaient encore durer longtemps pour les peuples indochinois et partout ailleurs. Depuis, Je n’ai jamais cessé de chercher ce qui peut réconcilier les peuples afin qu’ils œuvrent à leur devenir, et en harmonie avec le monde (dans le sens du milieu naturel, l’eco-systeme) qui les heberge. La participation…

    1. Bertrand D

      Je me disais justement que vos enfants vont garder un souvenir incroyable de cette aventure, quelle chance pour eux ! Sinon, j’ai vérifié, vous êtes parfaitement réglementaires, la validité de la plaque VD 84 est bien de quarante ans.

    2. Les Fonto

      @Bertrand D: Périmée depuis hier (la plaque, pas la cycliste) 😉

    3. Les Fonto

      @Jacques JURY: De notre côté, nous n’avons aucune trace du discours prononcé par Micheline Calmy-Rey en 2007, alors qu’elle était Présidente de la Confédération.
      Mais, à vrai dire, on n’est pas cherché non plus…
      Quant à la participation, j’espère vraiment que nous aurons l’occasion d’en discuter à notre retour.
      Bonne route cher Jacques!

  2. Serge Ansermet

    ….. toujours aussi intéressants vos textes et photos, merci et bravo !

    1. Les Fonto

      Merci Serge!

  3. Meyrat -Berthoud

    Coucou toute la famille 🤗,
    Merci à vous quatre de partager, à travers cahiers, dessins, photos et récits votre extraordinaire périple. De sacrées aventures tout de même😵‍💫! Une expérience de vie de famille pas banale 🦋… côté santé est-ce que tout va bien? 🙏
    je vous embrasse bien affectueusement et quelques bisous printaniers en plus pour Émilie et Antoine 😘😘😘

    1. Les Fonto

      Oui, la santé tient bon, juste la chaleur et l’humidité qui rendent les heures de selle pas toujours évidentes…
      Merci pour les bisous, on espère qu’ils sauront rafraîchir les esprits des loulous.

  4. Muriel & Christian

    Plutôt qu’hors des sentiers battus, vous les suivez scrupuleusement ce qui est plus prudent. Dire que la construction des temples s’est étalée sur autant de siècles et qu’il n’a fallu qu’une poignée d’années à Pol Pot et sa clique pour massacrer non pas un mais 3 millions de personnes, quel gâchis. Et ça n’a pas servi d’exemple ou si puisque d’autres font de même ailleurs. Le Cambodge semble mieux vous plaire que le Vietnam n’est ce qu’une impression? En tous cas merci pour vos commentaires et photos que nous recevons toujours avec plaisir. Et la suite du voyage c’est le Laos ou la Thaïlande? Dans tous les cas, bonne route et qu’Hermes vous accompagne.
    Muriel et Christian

  5. Les Fonto

    Bonjour Muriel et Christian!
    Merci pour votre gentil message.
    Le Cambodge et le Vietnam nous ont beaucoup plu, mais ces deux pays sont tellement différents qu’il nous est difficile de comparer.
    Mais le côté « aventure » du Cambodge restera dans nos mémoires.
    La suite, on en a déjà tracé un petit bout (voir la page Où sommes-nous); pas de Laos bien que nous n’étions pas bien loin.
    Bonne route à vous!

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