Sortir de la zone

Le bleu de la mer, le vert de la végétation, le gris de la roche et le rouge...

En quittant Venise, nous pensions naïvement quitter le tourisme de masse. C’était sans compter l’attrait quasi universel du bord de mer…

La zone bleue

C’est vrai, on se réjouissait vraiment de passer du temps au bord de la mer. Ce fût même un des facteurs qui nous fit passer par la peine du Pô.

Si la côte au nord de l’Adriatique est une immense plage de sable fin, elle est aussi bordée d’innombrables hôtels avec piscine et plage privée.

Parasols et transats en formation attendant patiemment les vacanciers de passage.

Pas facile d’expliquer à Émilie et Antoine que de ce formidable terrain de jeu, seules quelques portions de 20 mètres leur sont accessibles.

Pas facile non plus de côtoyer cette zone où tout est fait pour rendre le séjour confortable alors que, de notre côté, nous sommes sortis de notre zone de confort depuis plusieurs semaines.

L’endroit peut paraître idyllique; il est cependant peuplé de millions de moustiques (du jamais vu) et très humide.

Peu après Trieste, nous entrons en Slovénie où l’infrastructure cyclable pourrait rivaliser avec celle des Pays-Bas ou du Danemark: ronds-points pour cyclistes, miroirs dans les virages et signalétique omniprésente. Incroyable!

À cheval entre l’Italie et la Slovénie.

Les 40 kilomètres le long de la côte slovène ne seront évidemment pas suffisants pour ce faire une idée précise de la région. Il n’empêche que ce qu’on a vu nous nous donne qu’une envie: parcourir ce pays en long en large et en travers.

Bord de mer sans voiture mais avec piste cyclable, zone piétonne et bancs pour admirer la vue.

La zone rouge

Dès notre arrivée en Croatie, les choses changent.

Les infrastructures cyclables disparaissent, nous contraignant à une cohabitation pas toujours évidente avec automobilistes impassibles, camping-cars surdimensionnés et motards fous. Rarement nous ne nous serions sentis aussi peu en sécurité sur les routes, et le fait d’être avec Émilie et Antoine accentue encore la crainte d’un accident (qui finira par arriver, heureusement sans qu’il n’y ait de blessés).

Quant aux bords de mer, ils sont tous simplement squattés par d’immenses campings-villages-vacances où tout est fait pour que tu n’aies pas à en sortir. Le camping sauvage est quant à lui formellement interdit sur tout le territoire ce qui rend nos bivouacs compliqués.

Moment de complicité entre une mère et sa fille, dans la mer.

Le ciel devient gris, il se met à pleuvoir. La météo se dégrade, notre motivation également.

Depuis quelques jours, nous avons le sentiment d’être sur un « faux-rythme » et de ne pas être vraiment à notre place en Istrie, région ultra touristique où nous parlons quotidiennement allemand, souvent anglais, parfois italien mais jamais croate.

Il n’y a plus de combat de gladiateurs depuis longtemps dans l’amphithéâtre de Pula.

Les nuits inconfortables s’enchaînent (bruit, pluie, tempête de vent), nos vélos commencent à couiner, un tendon d’Achille qui fait de plus en plus mal… Ça devient une évidence: nous ne sommes pas sur un « faux-rythme », nous sommes tout simplement cuits.

À l’abri de la pluie, dans les fondations de la remise de Sergio.

Dans la zone grise

« Mais Papa, vous, ce que vous aimez avec Maman, c’est faire du vélo. Nous, ce qu’on aime avec Antoine, c’est jouer! ».

Et Émilie a tellement raison! Il est temps de faire une pause, de préparer la suite de notre voyage, avant que nous ne perdions l’équilibre.

C’est sur l’île de Rab que nous nous échouerons, dans un camping étonnamment vide, au bord d’une plage de sable chaud.

Émilie et Antoine en train de faire des « riollis » sur la plage de Lopar.

Après trois jours de pause, le constat est sans appel: il nous faut réviser nos ambitions.

L’idée de départ était de rouler jusqu’à Istanbul, avant de nous envoler plus à l’Est. En serions-nous capables? Très probablement. Mais aurions-nous du plaisir? On en doute fortement.

La fin de l’été couplé aux régions montagneuses des Balkans nous auraient contraints à poursuivre à un rythme effréné. Or, les 2’800 km et 20’000 mètres de dénivelé avalés en deux mois nous ont appris une chose. Voyager à vélo et en famille repose sur une double exigence: voyager à vélo et voyager en famille. Et la priorité doit clairement être mise sur la deuxième. Pour le bien et le plaisir de chacun.

Moment de doute entre un père et son fils, sous la tente.

Nous ne roulerons donc pas jusqu’au Bosphore. Reste à déterminer un nouvel itinéraire.

Il est 18h30 et  nous ne savons toujours pas où nous monterons la tente, ni où se poursuivra notre voyage…

Dans la zone verte

Finalement, on se sent bien sur ces îles. Loin des grands axes, le trafic y est raisonnable, surtout que la saison touristique touche à sa fin.

Après Krk et Rab, nous arrivons sur Pag dont une bonne partie de la surface est dénudée de toute forme de végétation, à cause des vents violents qui la traversent sans relâche.

On a roulé sur la Lune, ou presque…

Puis, nous décidons de quitter la mer et de rentrer dans les terres en direction de la Bosnie-Herzégovine. Et là, une autre Croatie s’ouvre à nous.

Fini les grosses routes fraîchement rénovées, fini les grosses maisons fraîchement repeintes, fini la manne des touristes étrangers. Place aux terres arables durement travaillées, place aux maisons abandonnées et aux toits effondrés, place à un accueil chaleureux et sincère.

À l’heure du raki (ils avaient commencé bien avant de nous inviter).

Le contraste est saisissant et suscite énormément de questions chez Émilie et Antoine.

À Evernik, village déserté où on y croisera qu’un vieux monsieur, assis sur une pierre, à attendre que le temps passe.

C’est également l’occasion de voir une Croatie plus verte, malgré la sécheresse persistante qui frappe la région.

La source de la Krka, asséchée à cette saison, se jette dans la Krčić avant de dévaler jusqu’à la mer par de multiples cascades.

Nous passons le plus clair de nos journées seuls, à rouler en pleine nature, sur des routes pas toujours asphaltées mais toujours agréables.

Une chose est sûre: si un jour on revient en Croatie à vélo, ce sera en gravel.
Magnifique soirée au pied du massif du Dinara.

L’objectif de cette escapade dans les terres était l’improbable source de la Cetina, profonde de près de 120 mètres. Mais comme souvent, c’est le chemin pour y arriver qui s’est avéré être le plus intéressant.

La source de la Cetina, plus connue comme étant « l’œil de la Terre ».

Ces quelques jours « au vert » nous auront fait le plus grand bien. Reste à trouver un rythme qui convienne à tous, savant mélange entre tours de roues, moments de jeux et scolarité.

Émilie profite des derniers rayons du soleil pour écrire et dessiner. Pas de chaise, pas de table mais du grand-air.

La Croatie aura été un virage dans notre voyage, sans regrets. Il faut juste savoir accepter que les choses ne se passent pas toujours comme prévu, même lorsqu’on ne prévoit pas grand-chose.

Antoine et Émilie dans le palais de Dioclétien, à Split.

Commentaires

  1. Meyrat -Berthoud

    Coucou vous quatre 😊
    Merci pour ces dernières nouvelles et les photos de famille mère – fille et père- fils🌸ainsi que les paysages sublimes. Continuez de « voyager en famille » et amusez-vous!Tu as raison Émilie il n’y a pas que le vélo 😉et prenez soin de vous. Bien affectueusement les Fonto😘

    1. Les Fonto

      « Voyager en famille », un équilibre subtile pas toujours évident à trouver! Avant, nous étions en « vacances à vélo » (comme chaque été), puis en « voyage à vélo » (comme avant). Et maintenant, on apprend.

  2. Bertrand D

    Bonnes priorités ! Et spécial dédicace à la plaque VD 77!

    1. Les Fonto

      Merci! Il y a une VD 84 qui voyage sur l’autre pino 😉
      #collector

  3. Evelyne Ansermet

    Un grand merci, cher Luc, pour ce nouvel article comme toujours tellement bien écrit. En peu de mots tu nous donnes l’essentiel de ce que vous avez vécu, éprouvé, traversé! Touchant d’authenticité avec un zeste d’humour! Magnifiques photos et légendes tellement appropriées! Et bravo pour votre capacité d’adaptation! Bonne route et bisous affectueux à vous quatre!

    1. Les Fonto

      Merci Evelyne! Oui, s’adapter à chaque zone, en fonction des différentes régions traversées et des besoins de chacun. Parfois, ça va tout seul, parfois, il faut pédaler fort voire même savoir s’arrêter un moment.

  4. jerome

    toujours un plaisir de vous lire , bonne suite les bonnes surprises arrivent toujours a point nommé.

    1. Les Fonto

      Merci! La bonne surprise du moment, c’est Albert avec qui nous venons de passé une semaine inattendue, chaleureuse et ressourçante!

  5. Berthoud Muriel et Christian

    Oui, pas toujours évident d’effectuer de longues pedalées avec des petits loups pour qui le temps peut paraître bien long même si les paysages traversés sont beaux. Mais bon est ce que ces découvertes et. tous les souvenirs gravés à vie dans leur mémoire ne valent pas un petit sacrifice? Ils apprennent tout naturellement d’aller à la rencontre de gens et de peuples différents qui ne sont finalement pas si différents de nous si ce n’est que l’accueil est souvent plus chaleureux. Vos réflexions/doutes sur la suite de votre voyage sont justes car l’hiver arrive et dans les Balkans il fait très froid. En tous cas nous continuerons à vous suivre quelle que soit la suite de votre voyage tellement vos observations/commentaires sont pertinents, ni trop ni trop peu. Bonne suite de voyage👍

    1. Les Fonto

      Alors c’est sûr qu’en ce qui concerne les rencontres, Émilie et Antoine sont plutôt avenants 🙂
      En était passé par les Balkans à la fin de l’automne 2011 et on en garde en effet un souvenir assez frais…
      Pour le moment, dans le sud de l’Italie, on est encore relativement confortable.

  6. Grec Marc-Antoine et Myriam

    Chers voisins (pas en ce moment), merci pour vos textes, vos photos, vos nouvelles. C’est un grand plaisir d’en prendre connaissance, le tout nous rassure.
    Merci aux écrivains pédaleurs, photographes et organisateurs de toute la logistique. Quel job! Des gros becs à Emilie et Antoine.

    1. Les Fonto

      Merci!
      Oui, en effet, ça fait pas mal. En plus des cuistos, mecanos, enseignants, raconteurs d’histoires, brosseurs de dents, scruteurs de carte, etc. au quotidien.
      Heureusement, on ne s’est jamais dit qu’on partait en vacances 😉

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