Évidemment, ça fait un choc…
Dire qu’il y a quelques heures à peine, nous roulions dans le quartier des banques de Singapour.
Une petite traversée en ferry sur-climatisé et nous voilà à arpenter les trottoirs défoncés et les rues crasseuses de Batam, île indonésienne qui, la nuit tombée, nous semble bien lugubre.
Seul le détroit de Singapour, large d’une vingtaine de kilomètres, sépare les deux villes. Pourtant, le fossé semble abyssal.
Fini les rues propres et les poubelles; place aux déchets et aux ordures. Fini les gens pressés et discrets; place au monde qui flâne et qui hèle le passant. Fini le calme et l’ordre; place au bruit et au chaos.
Et ce n’est qu’un aperçu de ce qui nous attend…

Bienvenue à Jakarta, charmant petit village de pêcheurs
La traversée aurait dû durer trente heures, elle en fera finalement six de plus. Heureusement, la mer est calme et nous sommes confortablement installés dans une cabine de quatre lits alors que la grande majorité des passagers dorment à même le sol ou dans des dortoirs à la salubrité discutable…
Il est quatre heures du matin lorsque nous arrivons à Jakarta, mégalopole de 32 millions d’habitants. Heureusement, la nuit nous empêche de voir dans quel état sont les quartiers nord (les plus pauvres) de cette formidable fourmilière qui s’enfonce inexorablement sous le poids de ses habitants et de leur consommation en eau largement pompée des nappes phréatiques… Plus de la moitié de la ville serait d’ores et déjà sous le niveau de la mer!
Le lendemain, nous prévoyons de traverser une bonne partie de cet enfer urbanistique à vélo, laissant l’autre partie pour le jour d’après. Par chance, il pleut, ce qui rend l’air vaguement respirable alors que nous slalomons tant bien que mal dans un flot incessant de véhicules bruyants et nauséabonds.
Le soir, alors que nous cherchions un endroit où manger, nous finirons par nous perdre dans un dédale de ruelles surpeuplées et inondées. Accoudés sur une table défraîchie, nous regardons notre assiette de riz et de poulet frit l’air songeur pendant que Mr Bean illumine l’écran au fond de la pièce et des enfants font la manche sous l’œil de leur mère… La richesse apparente de certains ne limite décidément en rien la misère flagrante de beaucoup d’autres…
La décision est prise: c’est en bus que nous fuirons la deuxième plus grande métropole au monde. Et même le Président semble déterminé à en faire autant. Les jours de la capitale indonésienne sont comptés.

Prendre un peu l’air à la campagne
Catapultés 250 kilomètres plus loin, nous retrouvons enfin un peu de calme et de sérénité, sauf la nuit où les psalmodies et les appels à la prière diffusés par haut-parleurs nous rappellent que nous sommes dans le plus grand pays à majorité musulmane de la planète.

La campagne y est belle et très diversifiée. Ici, c’est du riz, là du manioc ou du maïs. Après la monoculture du palmier à huile en Malaisie et l’omniprésence du béton dans les villes qui ont suivi, ça nous fait un bien fou de traverser une région verdoyante et aux habitants attachants.

Mais, à peine remis en route, une autre facette de l’île de Java se révèle à nous: la région est mal plate et les routes ne sont pas d’humeur à faire des virages… C’est donc à pied et en poussant nos vélos que nous franchirons de nombreux béquets suivis de descentes vertigineuses.

Les grands axes n’étant pas franchement adaptés à la pratique du vélo, on tente les petites routes, loin du trafic et du bruit. Ce n’est pas toujours une franche réussite, il nous faudra parfois rebrousser chemin, mais ça a le mérite de nous faire voir du pays.

De retour au bord de la mer …
Nous ne pensions que passer par Batukaras, spot de surf bien connu des amateurs de glisse aquatique. Finalement, nous y resterons près d’une semaine, tant Émilie, Antoine et leurs parents ont eu du plaisir à essayer d’apprivoiser les vagues longues et régulières qui s’écrasent depuis la nuit des temps dans une baie de sable blond.

Et après quelques jours d’entrainement intensif, le verdict est sans appel: Émilie et Antoine finiront sur la planche, leurs parents resteront dessous et notre téléphone ne sait pas nager…


… avant le retour du Roi
À nouveau en selle, on se sent étonnement en petite forme. Faut dire qu’après pratiquement une année de route, on sait tout de suite quand quelque chose ne va pas, que ce soit au niveau des vélos ou de nous-même.
Muscles douloureux, toux profonde, puis forte fièvre… Les symptômes parlent d’eux-mêmes: la dernière fois qu’on était dans cet état, le monde était confiné.
Alors qu’en route, nous ne sommes pratiquement jamais malades, il nous faut nous rendre à l’évidence: c’est la Bérézina.
Après quatre jours au fond du lit, Valéryne et Antoine vont vaguement mieux, alors on reprend la route. Mais c’est au tour de Luc de sombrer… Émilie, quant à elle, restera étonnement en forme.
Près de 250 kilomètres de pédalage en zigzag avant de pouvoir se poser un peu. Cinq jours de galère à l’humeur ravageuse et à l’épuisement certain…
Krishna, Bouddha, Dieu, Allah et Jah
Si l’île de Java est à l’heure actuelle à grande majorité musulmane, ce ne fût pas toujours le cas.
Mais avant de visiter les merveilles construites par les civilisations précédentes, l’occasion nous est donnée de passer du temps avec l’actuelle et, comme souvent, nous serons très bien accueillis; que ce soit sur la place du village, chez l’enseignant de l’école du coin ou dans les différentes petites gargotes le long de la route. Mais partout, la vétusté des infrastructures impressionne…

C’est passablement affaiblis que nous arrivons enfin à Borobudur, au pied du plus grand temple bouddhique jamais construit.

Pendant trois jours nous essayerons de mettre la main sur des billets nous permettant de monter sur cette incroyable structure vieille de plus de 1’200 ans. En vain…
C’est donc de la terrasse inférieure que nous devrons contempler ce mandala monumental constitué de plus de deux millions de blocs de pierre. Des trois milles bas-reliefs sculptés sur ses murs et des cinq cents et quelques statues du Bouddha, nous ne verrons… pratiquement rien.

Heureusement, la région est magnifique et le plaisir de la parcourir à vélo atténue un tant soit peu notre déception.
Un peu plus loin, d’autres vestiges nous attendent, hindous cette fois. Construits à la même époque que Borobudur, les temples de Prambanan sont la demeure des dieux, dont Brahma (le créateur), Vishnu (le protecteur) et Shiva (le destructeur).

Mais, une nouvelle fois, c’est de loin que nous devrons admirer ces merveilles, l’accès aux temples principaux étant fermé les lundis. Décidément…

Dépités, nous rejoindrons Yogyakarta, cœur culturel et artistique de l’île de Java, dans l’espoir de pouvoir se remonter le moral à coups de bons petits plats; il n’en sera rien. Street food, gudeg (spécialité locale à base de fruits du jaquier) ou même fast food: on n’a plus le goût…

Personne ne nous a dit que ce serait facile de traverser l’île de Java à vélo, mais on ne s’attendait pas à ce que ce soit à ce point là… Allez, on reprend le bus et on va voir un (bon) bout plus loin si on y est.
Tu verras, le jour se lève encore!
Les vélos prendront quelques jours de vacances au bord de la mer. Quant à nous, c’est en mini-bus que nous parcourrons les quelques dizaines de kilomètres et plus de deux milles mètres de dénivelé qui nous séparent de l’incontournable Mont Bromo.
Arrivés en haut, le spectacle nous laisse sans voix. À nos pieds, une immense dépression volcanique de laquelle ont surgit trois volcans, dont le Bromo, encore en activité.

Malheureusement, il pleut… Mais peu importe, l’endroit est absolument époustouflant et nous sommes déterminés à y rester le temps qu’il faudra aux nuages pour s’en aller.
Le lendemain, c’est par une météo nettement plus clémente que nous parcourons la région à pied. Pas moins de quinze kilomètres tout de même (une première pour Antoine) en passant par différents points de vue jusqu’au bord du cratère fumant.


L’endroit étant très fréquenté, il nous permet également de faire de belles rencontres et de bien manger. Enfin!
Et le jour suivant, après s’être levé beaucoup trop tôt, Luc ira constater de ses propres yeux que, quoi qu’il arrive, le jour se lève encore.

Sur la route des volcans
Ce séjour en altitude nous aura fait le plus grand bien. On ne tousse presque plus, on a pu dormir un peu et nos estomacs ont retrouvé un semblant d’appétit. Alors, c’est décidé: c’est à vélo et par la route des volcans qui nous quitterons l’île de Java.
Certes, il aurait été plus facile de reprendre une troisième fois le bus et il aurait été plus court (et moins raide) de longer la mer. Mais quelque chose nous dit que la région nous réserve encore des surprises.
La route est belle et, pour une fois, dépourvue de montées infernales. De plus, le trafic y est modéré et les chauffeurs respectueux. Et la campagne est absolument splendide! Quel plaisir de rouler à travers ces plantations de caféiers en fleurs, de girofliers aux bourgeons prêts à éclater et de muscadiers qui embaument la vallée.
Le soir venu, alors que, comme souvent, nous ne savons pas encore où nous allons planter notre tente, la magie opère. Une rencontre, un sourire et une discussion s’en suit avant que quelqu’un nous propose un endroit à l’abri où passer la nuit.
Ces rencontres, imprévues et spontanées, elles sont le moteur de notre voyage. Bien plus fortes que nos jambes ou notre motivation qui, parfois, nous font défaut.
Les enfants jouent devant la maison de la famille qui nous reçoit, les adultes se comprennent comme ils peuvent. Un échange se crée, autant éphémère que bienveillant, avant que nous reprenions la route le lendemain.

Tant Émilie et Antoine que leurs parents sont très touchés par ces rencontres. Et, au-delà des difficultés rencontrées, ce sont elles que nous souhaitons garder dans nos mémoires.
Au final, les volcans seront restés bien discrets, emmitouflés dans les nuages. Mais peu importe, l’essentiel est ailleurs.

Merci pour vos partages. Quel courage et quelle aventure !
on vous embrasse !
Merci à toi de nous suivre!
Des becs autour de toi.
Toujours un plaisir de vous lire et de partager un peu cette aventure. C’est avec un grand respect que je « participe » à vos périples, car j’en aurais été bien incapable. Bonne suite et à bientôt, sur Avelo 🙂
Merci Karin de participer à notre voyage!
On aime bien savoir qu’il y a des mains qui nous poussent dans le dos.
Bonne route à toi!
Bravo! on vous admire et on suit votre périple avec autant d’intérêt que l’on s’est passionné pour ceux de la famille Poussin ou de Sylvain Tesson…merci pour ces voyages par procuration!
Merci, avec plaisir!
Pas sûrs de rouler dans la même catégorie (et on s’en fiche).